poésie à l'écoute

Fil-Poètes sous l’Occupation (17/09/2011)

L’Hôtel de Ville de Paris a abrité récemment une remarquable exposition sur les « Archives de la vie littéraire sous l’Occupation » allemande. Déjà présentées à la New York Public Library, plus de 800 pièces ont illustré une époque sombre (1940-1944) de l’histoire de France, quand « écrire des poèmes devient un acte de bravoure » (Le Magazine Littéraire, juillet-août 2011).

Il nous a semblé utile de reproduire certains extraits d’un long dossier, « Ecrivains et artistes sous l’Occupation », préparé par le mensuel Books de juin 2011 (n°23) et constitué de trois articles parus aux Etats-Unis, traduits en français.

Dans « Une belle opération de séduction » (The New York Review of Books, 24 février 2011), Ian Buruma critique un ouvrage d’Alan Riding, daté de 2010 (« Et la fête continua. La vie culturelle dans Paris occupé », à paraître chez Plon), et souligne que « (…) la majorité des grands écrivains français ne figuraient pas au nombre des collaborateurs : ni Gide ni Claudel, sans parler de Sartre, Camus, Eluard ou Aragon. Il [Riding] fait également remarquer que la seule poésie digne de ce nom fut écrite par des résistants. Il n’y eut pas de bonne poésie fasciste. (…) »

A pointer, « la réaction de Cocteau [visible sur une photographie de septembre 1941, entouré de Serge Reggiani et Jean Marais] aux accusations de collaboration portées contre lui après la guerre » (…) : « pourquoi le destin d’un poète changerait-il ? Mon royaume n’est pas de ce monde et ce monde m’en veut de ne pas suivre ses règles. Je souffrirai toujours la même injustice. » Parlait-il ici seulement en tant que poète, ou en tant que poète se trouvant être aussi homosexuel ? »

L’auteur note que, lors des purges de collaborateurs « le comportement des communistes, y compris d’anciens résistants comme Louis Aragon, ne fut pas toujours très différent de celui des vichystes qu’ils avaient combattus. »

L’historien Robert O. Paxton a écrit « Les arts dans la défaite », publié dans Bookforum à l’été 2009. Il fait notamment référence au livre du diplomate à la retraite Frederic Spotts, « La paix honteuse. Comment les artistes et intellectuels français ont survécu sous l’occupation nazie » (Yale University Press, 2008), pour regretter que « des combattants aussi actifs que le poète René Char et le stendhalien Jean Prévost (…) ne sont pas même mentionnés. (…) Et, bien que les deux plus grands écrivains morts en camp de concentration – Robert Desnos et Max Jacob – soient brièvement évoqués, aucun d’eux n’a droit à l’un des mini-portraits qui sont au cœur du livre. En fait, Gide et Picasso sont les seuls artistes ou intellectuels dissidents gratifiés d’un portrait complet, hormis les quelques pages consacrées au peintre André Fougeron et au poète Jean Cassou. »

Fort heureusement, l’article est illustré avec René Char, représenté sur une photographie prise dans le Vaucluse en 1943, qui « refusa de publier après juin 1940. Entré en résistance en décembre 1940, il monta un réseau. »

Paxton ajoute que « vers la fin, les artistes résistants étaient loin d’être l’exception : si l’on consulte la liste des grands poètes, par exemple, on constate que chacun d’eux, ou presque, devint un dissident actif – Desnos, Louis Aragon, Paul Eluard, Pierre Seghers. Il est difficile de trouver un poète majeur du côté de la collaboration. (…) »

En relation avec l’« importance symbolique de la statuaire publique comme expression d’un patriotisme civique », on remarquera que « (…) le gouvernement [de Vichy] choisit le poète occitan Frédéric Mistral comme symbole de régionalisme, mais retira ensuite sa statue en Arles. Le socle nu eut beaucoup d’impact affectif, et les Arlésiens y déposèrent des couronnes. »

La phrase de Simone de Beauvoir « Il fallait bien vivre » sert de titre à un article imprimé dans Art in America en avril 2009, signé par Michèle C. Cone.

Elle rappelle que « Cocteau et Sacha Guitry, qui fréquentaient assidûment les soirées à l’ambassade d’Allemagne et ont de ce fait été qualifiés de collabos, ont approché Heller [officier allemand chargé de la censure des livres] pour lui demander d’intercéder en faveur du poète Max Jacob. Ce qu’il fit, mais trop tard, car Jacob était déjà mort quand l’ordre de le libérer est arrivé. »

D’un entretien avec Robert O. Paxton, publié dans Les Inrockuptibles du 25 mai 2011, retenons ceci : « (…) Ce qui est intéressant, c’est que, pendant l’Occupation, les écrivains ont le choix : doivent-ils rester silencieux ou doivent-ils écrire ? Accepter la censure, être dans le système ou écrire exclusivement clandestinement ? Même Aragon choisira de publier. (…) A la Libération, la trahison intellectuelle parut plus odieuse que les autres. Peut-être parce que les écrivains laissent des traces. Ils ont été punis plus sévèrement que les industriels qui ont fourni les nazis. (…) »

Categorie(s): Le fil de la poésie, News

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